Profession
de foi
CAV #1
Pluralisme à la CAV
CAV #2
Diversification du corps
CAV #3
Evaluation
CAV #4
Tableau d'avancement


Parmi les attributions de la CAV, les saisines de contestation d’évaluation ne représentent qu’un faible volume en termes quantitatifs. Le rôle joué par la CAV et, en son sein, des élus du Syndicat de la magistrature, n’en est pas moins essentiel : l’évaluation révèle certaines des tensions qui agitent le corps. Pensée par la DSJ et le CSM pour être la clé de voûte de la politique de RH du ministère de la Justice, l’évaluation épargne pourtant les chefs de cour.

Elle réussit actuellement la prouesse de renforcer la tendance hiérarchique au sein de la justice tout en ne permettant pas de détecter ceux qui, parmi les futurs chefs de juridiction, s’avéreront problématiques. Si elle est, actuellement, un outil défaillant, nous estimons néanmoins qu’elle doit être réinventée pour permettre à la justice et à ses agents de rendre compte du service public.

Face à l’évaluation, les magistrats peuvent avoir une attitude contrastée : certains y voient un signe de la tendance centripète du corps, dotant les chefs de juridiction et de cour de pouvoirs toujours plus grands et toujours aussi peu légitimes. Ils renâclent à l’exercice et signent souvent cette évaluation sans même la lire – voire même l’ouvrir. D’autres, souvent déçus, en attendent une reconnaissance de la difficulté de leurs conditions de travail et de leur engagement. Quelques magistrats, enfin, espèrent y voir la reconnaissance de leurs qualités individuelles, et guettent dans leurs évaluations les signes leur promettant les ors de la justice, le saint Graal – le HH !

La DSJ et, dans une moindre mesure, le CSM, nourrissent de grands espoirs dans ces évaluations, outil d’une politique de ressources humaines qui se veut « fine », détectant les talents très en amont (pourquoi pas dès l’ENM ?), pour garantir aux heureux élus un brillant avenir. Comment mesurer les compétences avec un thermomètre qui ne mesure que la capacité de l’évaluateur à dissimuler sa piètre connaissance de l’évalué ou à faire passer entre les lignes des appréciations négatives mal assumées ? Les réflexions sur les conditions de travail, le collectif et la gouvernance que nous appelons de nos vœux sont, quant à elles, reléguées au rang de sujets mineurs, au profit d’une approche essentiellement individuelle.

Dans les faits, la plupart de nos évaluations ne laissent aux regards peu avertis qu’un seul sentiment : celui d’être lisses, pour ne pas dire totalement plates. Prises au terme d’une procédure peu contradictoire, par des chefs de juridiction et de cour qui ne connaissent souvent rien de notre environnement de travail, de la complexité de nos fonctions et de la réalité de nos métiers, les évaluations livrent une représentation fort peu fidèle de l’investissement et des qualités de chacun. Certains chefs de cours et de juridiction détournent l’exercice de son objectif pour en faire un outil de la paix sociale. D’autres se laissent aller à de mauvais penchants en se livrant des appréciations vexatoires des qualités des uns et des autres. Alors que les évaluations en disent parfois plus sur l’évaluateur que sur l’évalué, émerge comme seul critère réellement discriminant de l’évaluation les croix qui se déplacent plus ou moins vite de la droite vers la gauche, souvent davantage selon l’ancienneté dans la profession qu’en fonction de la qualité du travail. De ces platitudes équitablement réparties émergent quelques profils, ni bons magistrats, ni bons « managers » qui sont parfois propulsés chefs de juridiction.



Le Syndicat de la magistrature revendique un système garantissant l’impartialité de l’évaluation, laquelle aurait pour seul objectif l’amélioration du service public rendu. Il soutient que les fonctions d’évaluation doivent être confiées à des inspecteurs indépendants du pouvoir exécutif qui pourraient être rattachés à un CSM rénové et observer directement l’activité des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, dans une logique d’évaluation du service et de la juridiction, en tenant compte des moyens qui leur sont alloués. L’avis des chefs de juridiction aurait bien évidemment sa place, dans un système qui respecterait le contradictoire.

En attendant la révolution, le Syndicat de la magistrature a participé activement aux travaux d'un comité de suivi sur l'évaluation dont les travaux (sous forme d’un « Guide de l’évaluation ») seront utilisés à compter de la prochaine campagne d’évaluation. Il a fait différentes propositions dont certaines ont été retenues :
• le rappel, en introduction du guide, de la nécessaire prise en compte du principe de l’indépendance de la Justice
• globalement, des amendements permettant de faire prévaloir la notion de qualité de la justice sur une appréhension trop quantitative des compétences du magistrat évalué
• la limitation de la vision managériale visant à apprécier le parcours d’un magistrat en termes de filière
• la suppression d’une partie initialement envisagée visant à soumettre les questions de déontologie au système de l’évaluation par des croix « insuffisant, excellent, etc. » qui ne nous parait pas être un moyen adapté à la nécessaire prise en compte du respect des obligations déontologiques
• la meilleure prise en compte de la situation des magistrats ayant des problèmes de santé, les évaluations étant encore trop souvent péjoratives dans ce cas, ou mentionnant les arrêts de travail en toute illégalité
• la clarification de l’utilisation des annexes 3, actuellement pratiquées de manière erratique pour obtenir des avis non prévus à l’article 20 du décret, sans respecter le principe du contradictoire et au détriment de l’égalité de traitement des personnes évaluées.




Les magistrats sont tous soumis à une évaluation régulière. Tous ? Non. Un village peuplé d’irréductibles chefs de cour et magistrats hors hiérarchie à la Cour de cassation résiste encore et toujours à l’évaluation par un tiers et n’est soumis qu’à une autoévaluation. Paradoxal, quand on sait que ce sont eux qui administrent et représentent la justice dans de larges territoires, qu’ils sont comptables – comme nous tous - de la qualité de la justice rendue dans les juridictions de leur ressort, et que, de surcroît, ils évaluent les magistrats. Comme si le droit en vigueur reconnaissait, concernant les chefs de cour, combien l’évaluation peut être une atteinte à l’indépendance – ou comme si, en définitive, l’indépendance n’était que l’apanage de quelques grands magistrats.

En 2019, nous avons été entendus dans le cadre de la mission confiée par la garde des Sceaux à Guy Canivet sur le projet d’expérimenter l’évaluation « à 360° » des chefs de juridiction, qui permet de recueillir anonymement les observations de collaborateurs de la personne évaluée ou d’interlocuteurs extérieurs à l’institution judiciaire. Nous avions fait une série de recommandations pour qu’un tel dispositif, utilisé dans d’autres institutions/ministères, puisse être transposé dans la justice en respectant notamment le principe d’indépendance. Trois ans après, le dispositif n’a toujours pas été décliné par le ministère de la Justice...




Si le nombre de saisines de la CAV est relativement faible, près d’un tiers des demandes qui lui sont adressées sont accueillies. Plusieurs types de griefs peuvent être amenés à prospérer et notamment ceux relatifs aux motifs procéduraux - et singulièrement au manque de contradictoire, ou ceux relatifs à la discordance entre les évaluations littérales et analytiques (les croix). D’autres sont relatifs aux éléments qui ne doivent pas être évoqués dans l’évaluation. Ainsi de l’appartenance syndicale ou des opinions des magistrats. Certains chefs de cour tentent pourtant de faire référence de manière discrète au contenu intellectuel des décisions juridictionnelles – la CAV considère qu’il s’agit d’une atteinte à leur indépendance.

D’autres glissent des références plus ou moins discrètes à ces idées, utilisant des qualificatifs positifs dans leur acception générale, mais qui peuvent avoir un sens tout autre dans le cadre d’une évaluation : ainsi d’un magistrat « qui a des convictions fortes » ou « très humain » – comprenez plus à gauche que l’évaluateur. Un autre classique, la référence au magistrat qui rédige des jugements « particulièrement motivés », comprenez « trop longs » et donc nuisant à l’efficacité du magistrat.

Il en est de même s’agissant des références à l’état de santé du magistrat évalué, ce qui peut être une atteinte au droit au respect à la vie privée et, le cas échéant, une discrimination liée à l’état de santé. Ici aussi, les chefs de cour et de juridiction vont parfois tenter de contourner l’interdiction en se présentant comme le gardien de la bonne santé des magistrats – ne travaillez pas autant, ne soyez pas aussi perfectionniste, vous allez vous mettre en danger -, alors qu’ils peuvent eux-mêmes être responsables de la surcharge de travail du magistrat évalué.

Enfin, il est impératif de replacer l’action individuelle du magistrat évalué dans le contexte global de la juridiction et du service. L’apparition d’un stock doit être mise en lien avec la charge de travail individuelle du collègue, mais également avec son environnement de travail : collègues absents, mésentente dans le service, absence ou changement de greffier, etc. Ou comment renvoyer le ministère et la hiérarchie à ses responsabilités.

Dans cette perspective, la saisine de la CAV, ou même du tribunal administratif est un outil essentiel pour que les magistrats puissent faire valoir leurs droits. Il s’agit de reprendre le pouvoir sur sa vie professionnelle en résistant à la dimension infantilisante de l’évaluation dans sa forme actuelle. Cette démarche s’inscrit dans le combat ancien du Syndicat de la magistrature contre le poids de la subjectivité et de la relation hiérarchique dans les rapports évalué/évaluateur. La présence, à la CAV, de magistrats de base est essentielle pour contrer le risque d’une solidarité de corps parmi les représentants de la hiérarchie. Le Syndicat de la magistrature assiste régulièrement des collègues dans la rédaction de leurs observations et recours.